Publié le 23/01/2020

La rituelle conférence santé organisée dans le cadre de la Semaine du son a permis de faire un point précis, vaste et documenté, sur le sujet des basses fréquences, au plan de l’acoustique, des risques professionnels, des effets physiologiques et de leur prévention.

En introduction de la table ronde, animée par le journaliste scientifique Michel Alberganti, qui s’est tenue au ministère de la santé ce mercredi 23 janvier, Christian Hugonnet a donné des précisions sur le choix du thème : « Jamais nous n’avons eu de techniques aussi sophistiquées qu’aujourd’hui dans l’enregistrement et la diffusion du son. En dépit de ces capacités, nous avons aussi des mésaventures en termes de qualité sonore, notamment dans la compression, qui supprime les nuances et conduit à des aberrations sur le plan de la déformation du signal. Cela faisait plusieurs années que nous voulions mettre l’accent sur les basses fréquences, qui nous perturbent et nous intriguent ». Le président fondateur de la Semaine du son insiste pour défendre l’écoute naturelle de la musique, sans protection auditive, et a voulu présenter les solutions actuelles pour permettre de profiter de cette expérience, sans mettre en péril son audition. David Rousseau, ingénieur du son et spécialiste en électro-acoustique du bureau d’étude Altia, a expliqué comment améliorer l’exposition sonore, dans les concerts, via la multiplication et la suspension des haut-parleurs, par opposition à l’habituelle disposition en frontal. Il a également fait une démonstration des effets des basses fréquences et de la musique compressée, diffusée à la limite légale supérieure.

 

Des effets physiologiques des basses fréquences

 

En préalable aux débats, Paul Avan, responsable du laboratoire de biophysique sensorielle à la faculté de médecine de Clermont-Ferrand et du centre de recherche en audiologie humaine à l’Institut de l’audition, a procédé à un rappel pédagogique sur le fonctionnement de l’oreille interne. « Les basses fréquences vont parcourir toute la cochlée de bout en bout pour aller à l’endroit où elles sont codées, du côté apical. Cela explique l’une de leurs propriétés, plutôt négative : leur capacité à masquer la présence simultanée d’autres fréquences, a expliqué le professeur Avan. Les hautes fréquences vont plutôt abîmer la base de la cochlée, les moyennes fréquences le milieu et les hautes fréquences l’apex. C’est le principe. Les très basses fréquences ont la particularité de stimuler également, si elles sont suffisamment intenses, le système de l’équilibre. Le vibro-tactile est le 3e aspect physiologique dans la réception des basses fréquences (tous les organes au contact de l’air et sensibles aux vibrations vibrent en fonction des sons extérieurs). Ces 3 perceptions peuvent se combiner. » Le chercheur a également souligné le fait que les basses fréquences sont recherchées parce qu’elles « entraînent le sujet qui les reçoit à entrer en mouvement, à danser », avec des seuils variables selon les individus et les cultures.

 

Tenir compte des basses fréquences dans la réhabilitation auditive

 

Christian Hugonnet avait également demandé à Christophe Micheyl, responsable européen de la recherche chez Starkey, de venir dresser le tableau des enjeux liés aux basses fréquences dans le traitement du son par les aides auditives… Angle d’approche relativement inhabituel pour un fabricant d’appareils, mais non moins pertinent ! Christophe Micheyl a commencé par préciser que les basses fréquences ne sont pas prioritairement amplifiées car les pertes auditives, notamment celles liées au vieillissement, se produisent la plupart du temps dans les hautes fréquences. La difficulté concernant les basses réside dans le choix de l’embout : « plus l’embout est ouvert plus on perd des basses fréquences par le phénomène de fuite acoustique, qui affecte moins les hautes. Pour les pertes auditives importantes dans les basses fréquences, avec un embout fermé on va apporter plus de gain, mais avec le risque d’effet d’occlusion ». A ces difficultés bien connues, s’ajoute, avec les embouts ouverts, l’effet de filtre en peigne. « L’addition du son direct au son amplifié par l’appareil, qui met environ 5 millisecondes pour le traiter, introduit des pics et des creux dans le temps, qui apparaissent également dans le spectre et peuvent interférer avec ceux naturellement présents dans la parole ou la musique. Ces variations sont véhicules d’informations, par exemple liés aux vibrations de la fondamentale laryngée et donc à la prosodie, notamment dans les basses fréquences. » Pour finir, les systèmes de micros directionnels actuels impliquent une atténuation plus forte dans les basses fréquences, pour des questions de longueurs d’ondes. Les audioprothésistes doivent jouer sur ces différents paramètres pour apporter une bonne perception au patient, y compris dans les basses fréquences. Le spécialiste a conclu avec une question épineuse : comment bien restituer la perception de la musique ? Les travaux de recherche de ces dernières années ont montré que la solution, partielle, consistait à diminuer la compression et à amplifier les basses et les hautes fréquence, nécessaires pour la perception du timbre et de la richesse musicale.

 

Starkey Effet filtre en peigne Basses fréquences

 

 

Trois autres experts ont pris la parole au cours de cette soirée. Benoît Pouyatos, responsable de laboratoire à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et Thomas Venet, attaché d’étude. Ils conduisent actuellement une enquête de terrain sur les difficultés auditives dont souffrent les professionnels de la musique et du son, notamment les intermittents du spectacle. Un sujet encore très peu abordé. David Ecotiere, directeur adjoint de l’Unité mixte de recherche en acoustique environnementale (UMRAE), est enfin venu présenter les travaux, passés et en cours, sur les basses fréquences émises par les éoliennes. Nous reviendrons sur ces exposés dans un prochain numéro de notre magazine.

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